La Saga du Meyerhof
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Le Meyerhof (ancienne cour dîmière) est situé à proximité immédiate d’un des plus beaux monuments historiques d’Alsace, l’église romane Saints-Pierre-et-Paul, classée monument historique depuis la première liste établie en 1840 à la demande de Prosper Mérimée. Cet ensemble représentait le cœur de la ville romane et les bâtiments, largement remaniés, contenaient encore nombre d’éléments d’architecture romane.
Le nouveau bâtiment du Meyerhof, dont le principal mérite est de remplacer des ruines peu reluisantes, ne laisse pas indifférent et nous allons revenir sur la saga de sa construction.
On passera sur toutes les années où un promoteur local, ALFA, rachète l’essentiel des bâtiments et les laisse tomber en ruines pour ne pas avoir à les restaurer. Seuls 2 immeubles, situés sur la rue principale, pourront être acquis par la Ville, qui peut ainsi participer au comité de pilotage du projet de l’investisseur.
La saga de la nouvelle construction commence en 2015, où le maire Michel HERR annonce avec un grand tapage médiatique que le permis de construire du Meyerhof déposé le 23 décembre 2014 est signé avec l’accord de toutes les parties concernées, y compris le promoteur et les ABF (architectes des bâtiments de France), au bout de près de 60 réunions du comité de pilotage[1].
La figure 1 montre l’aspect futur de la façade est du bâtiment, qui jouxte l’église romane, d’après le permis de construire accordé le 22 juin 2015. Les travaux commencent le 10 novembre 2017 et le Maire de Rosheim fait voter 3 jours après deux transactions pour le moins étranges : il vend au promoteur les parcelles du site appartenant à la commune pour 87 000 € TTC et achète deux lots du futur bâtiment pour 394 000 € TTC, « … en vue de développer le commerce de proximité et afin d’avoir toute l’opportunité d’installer le commerce voulu… »[2] Il se justifie ainsi aux DNA : « On a attendu jusqu’au dernier moment pour garder la mainmise sur cette affaire »[3].
Mais alors, premier coup de théâtre : le promoteur ayant acquis les parcelles de la commune s’empresse de déposer une demande de permis de construire modificatif (PCM) un mois après, le 13 décembre 2017, pour, entre autres, surélever les toitures et ajouter des logements supplémentaires !
Pendant ce temps les pelleteuses détruisent les bâtiments anciens, arrachant encadrements de grès et corbeaux romans sans état d’âme. Les plus grands historiens d’Alsace se lamentent, car il y avait derrière les façades remaniées les restes de constructions médiévales qui n’ont même pas fait l’objet de relevés archéologiques : « Un vrai raté du patrimoine ! » nous disent-ils[4].
En février 2018 la demande de PCM est rejetée par les ABF car elle contrevient totalement aux accords ayant mené au permis de construire de 2015. C’est alors, deuxième coup de théâtre, que le Maire de Rosheim fait appel de la décision des ABF auprès du Préfet de Région, et lui demande de saisir la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture.[5] Mais celle-ci rend également un avis défavorable à l’unanimité !
La suite, troisième coup de théâtre, incompréhensible pour le commun des mortels, est relatée par le Maire lui-même au conseil municipal du 30 avril 2018 : « Monsieur le Préfet est venu sur site le 6 avril et a finalement accordé ce permis modificatif permettant de créer sept logements supplémentaires. »[6]
Ainsi Monsieur le Maire Michel HERR a-t-il mis tout son poids pour obtenir que le Préfet de Région désavoue ses propres services, afin qu’un investisseur privé puisse réaliser un projet encore plus dense en violation du permis de construire qu’il avait lui-même accordé et largement médiatisé ! et cela au grand dam du patrimoine historique de Rosheim.
A la réception du courrier du Préfet, le 13 avril 2018, Monsieur le Maire s’empresse d’accorder ce Permis modificatif le 16 avril au promoteur avec des toitures plus hautes munies de lucarnes pour ajouter des logements (figure 2), tout en réduisant le nombre de places de parking (il en reste environ la moitié de ce qui est prévu par les normes d’urbanisme).
On remarquera sur ce nouveau projet que la toiture de la façade est, vis-à-vis de l’église romane, comporte maintenant deux grands velux d’aération des cages d’escalier, camouflés par un revêtement imitation tuile.
Aujourd’hui, sur le bâtiment réalisé, les velux du permis sont bien là, mais pas camouflés du tout, et entre les lucarnes sont apparus trois autres petits velux (Photo 1). Tous les habitants de Rosheim qui ont jamais songé à mettre un velux sur leur toit apprécieront à leur juste valeur ces 5 velux placés à environ 10 m du plus emblématique monument historique de Rosheim…
Et lorsque l’on atteint l’extrémité nord de la façade, on constate que le magnifique pignon d’angle de l’ancienne grange dîmière du 17ème siècle est percé et échancré de façon hideuse par 4 fenêtres qui ne figurent pas sur le Permis modificatif, et dont l’encadrement bétonné rappelle plus le Mur de l’Atlantique que l’art roman (Photo 3).
Ainsi l’investisseur, non content d’avoir obtenu par un incroyable passe-droit l’autorisation de densifier son projet et de jeter aux orties la protection des monuments historiques, ne respecterait même pas le permis qui lui a été accordé !
La cité romane de Rosheim serait-elle devenue une zone de non-droit livrée aux appétits des promoteurs ?
[1] Article des DNA du 23 juin 2015 et Les échos du Rosenmeer, octobre 2015, page 6.
[4] Jean-Jacques Schwien, Président de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace, Guy Bronner, Président d’honneur de la Société, Georges Bischoff, Professeur émérite d'histoire du Moyen Âge à l'Université de Strasbourg : À Rosheim : un vrai raté du patrimoine (janvier 2018) http://www.scmha.alsace/actudossier1.php
[5] Courrier du Maire de Rosheim à Monsieur le Préfet de la Région Grand Est en date du 14 février 2018.
[6] Compte rendu du conseil municipal du 30 avril 2018.
[7] Perspective ALFA SAS publiée sur https://www.sib-etudes.fr/logement/le-meyerhof-a-rosheim
[8]Photo remise par Alphonse TROESTLER publiée dans les DNA du 13 décembre 2017